Songes, ombres et fumées : le titre est emprunté à un vers du Sonnet 123 de Pétrarque (l'un des sonnets qui ont inspiré à Liszt trois pièces de ses Années de Pélerinage). Ces mots figurent aussi dans La Vallée Close, sur des sonnets de Pétrarque, pour voix, clarinette et trio à cordes, écrite cette même année 2016.
Il s'agit avant tout d'un travail sur la "grande forme" ; une vaste trajectoire, qui passe par de nombreux territoires, revient sur ses pas, anticipe... Allusions aux formes traditionnelles : adagio central, rondo final - mais tout s'entremêle, et les différentes textures et idées musicales luttent entre elles sans cesse.
Sont refusés tous les petits expédients qui permettent d'esquiver la grande question - la question posée par une forme musicale aussi chargée d'histoire que le quatuor à cordes ; sont donc évités tous ces sons écrasés, divers petits bruits, gloussements d'harmoniques, qui prolifèrent dans tant de quatuors contemporains. Evitée aussi la segmentation en une succession de mouvements courts, au profit de la continuité du discours.
Le thème est, comme le suggère le titre, la mélancolie - une mélancolie profonde et persistante. Une idée fixe (battements réguliers de pizzicati) jalonne la partition, s'affronte aux autres éléments musicaux, finira par triompher. Au long de cette trajectoire jailliront des visions, des hallucinations, des phases de dépression et d'excitation, de renoncement, d'espoir, de colère, de révolte... "sogni, ombre et fumi..."
Tristan Murail